5‣ Mettre en place une pratique alternative de notation (PAN)

Comment remplacer la notation sommative par une évaluation qualitative qui puisse favoriser l'apprentissage authentique ? La pratique alternative de notation s'inscrit dans une remise en question plus large de l'enseignement traditionnel.

5‣ Mettre en place une pratique alternative de notation (PAN)
Roadsworth, 9IÈME AVENUE. Reproduit avec l'autorisation de l'artiste. Source

Comment remplacer la notation sommative par une évaluation qualitative qui puisse favoriser l'apprentissage authentique ? La pratique alternative de notation s'inscrit dans une remise en question plus large de l'enseignement traditionnel.

► Après avoir observé à l'hiver 2024 que différents signaux participent à l'information qui circule dans la classe et après avoir enclenché une boucle de rétroaction qui favorise la motivation et l'engagement, la pratique alternative de notation m'est apparue comme la suite logique à instaurer à l'automne suivant. Cette pratique systémique comporte différentes facettes qui sont toutes interconnectées. Commençons par l'évaluation elle-même.

La problématique des notes traditionnelles

En 2018, dans un rapport intitulé «Évaluer pour que ça compte vraiment», le Conseil supérieur de l'éducation soulignait que les notes chiffrées «ont une valeur informative pauvre et contribuent à véhiculer une vision techniciste et comptable de l'évaluation». Cette vision comptable est très répandue chez nos élèves. L'apprenant·e qui est essentiellement motivé par la performance tend à considérer la note comme un salaire pour un travail rémunéré. Parfois, il conteste l'évaluation et cherche à «négocier» la valeur de son travail, qu'il associe bien souvent à sa propre personne.

Les points sont vus comme un capital qu'il faut accumuler, mais dans des conditions très variables – pour des travaux, pour une sanction de comportement – et selon une justice bien arbitraire. Devant le sentiment d'échec, l'incompréhension et mise à l'écart, il n'est pas étonnant que, dans certains cas, l'élève préfère le «vrai» marché du travail. Comme le relève encore le Conseil supérieur de l’éducation, non seulement les notes traditionnelles tendent à favoriser une mentalité de «chasse aux points» plutôt qu'un véritable engagement dans l'apprentissage, elles échouent souvent à communiquer un feedback substantiel et utile aux apprenant·es. Elles découragent la prise de risque intellectuel et la créativité nécessaires à l'apprentissage durable. Le constat est dur, mais il est appuyé par des faits avérés.

Susan Blum, dans Ungrading, identifie plusieurs autres problèmes inhérents aux systèmes de notation sommative, à commencer par l'inconsistance et la subjectivité des notes. De nombreuses recherches montrent une grande variabilité dans l'attribution des notes par différents évaluateurs pour un même travail et remettent en question leur fiabilité. La notation traditionnelle peut également générer du stress et de l'anxiété chez les étudiants. La note obtenue par la somme des points accumulés dans les travaux conduit parfois à des comportements indésirables comme la tricherie ou la recherche de cours «faciles» pour améliorer sa moyenne.

Ces défis dont nous sommes témoins en classe soulignent la nécessité de repenser nos approches d'évaluation. Comment créer des environnements d'apprentissage plus équitables et motivants, centrés sur le développement réel des compétences des étudiants ? Comment recentrer la motivation de la performance – qui est extrinsèque et fragile – sur le sentiment de compétence et d'autonomie ?

À l'instar des collègues Bruno Voisard, Caroline Cormier et François Arseneault-Hubert, enseignants en chimie au Cégep André-Laurendeau qui avaient publié dans « Pédagogie collégiale » un article fort intéressant à ce sujet (Voisard et al., 2024), j'ai décidé d'expérimenter moi aussi une pratique alternative de notation. Cette approche s'aligne avec les recherches récentes qui montrent que l'évaluation, plutôt que de simplement mesurer l'apprentissage, devrait le soutenir activement (Clark & Talbert, 2023 ; Nilson, 2014 ; Blum, 2020 ; Feldman, 2023 ; Pasquini, 2021).

Une évaluation qualitative centrée sur la progression

Le cœur de mon expérimentation repose sur l'évaluation d'un dossier d'apprentissage (une série d'artefacts, ou plus communément d'exercices) produits par les étudiant·es tout au long du trimestre. Le portfolio prend appui sur une approche innovante de l'enseignement de la lecture littéraire au collégial (ELLAC) issue de la recherche en éducation. Chaque artefact est évalué selon cinq critères : la structure, la rigueur, la plausibilité, la nuance et la qualité du français écrit. Plutôt que d'attribuer des notes chiffrées, en pourcentages, j'utilise une échelle à quatre niveaux basée sur la taxonomie SOLO. J'en ai parlé dans une autre chronique et je l'approfondirai davantage dans une autre, car c'est un sujet passionnant, mais nous passerons ici sur les détails.

Un aspect très important de ce système est l'accent mis sur la progression de l'étudiant plutôt que sur une performance ponctuelle. Au lieu d'être une somme de points, où les erreurs et les maladresses du début de l'apprentissage pèsent encore en fin de parcours, la note finale du portfolio est uniquement déterminée par les dernières productions du trimestre. Cette approche s'aligne avec la vision de Robert Talbert et David Clark dans Grading for Growth, qui soulignent l'importance de déplacer l'attention des points vers la motivation de maîtrise. Chaque artefact est vu comme une opportunité d'apprentissage plutôt que comme un simple salaire à engranger (Clark & Talbert, 2023). Linda Nilson dans Specifications Grading, souligne que ceci permet aux enseignant·es de « concentrer leur énergie sur le développement d'attentes et d'exigences détaillées pour tous les étudiants et les communiquer clairement » (Nilson, 2014, p. 128), favorisant ainsi un alignement constructif plus fort entre les objectifs du cours, les moyens empruntés pour y parvenir et le bilan évaluatif qu'on en fait.

Le dispositif des jetons de reprise

Une autre stratégie qui s'inscrit dans le système de notation alternative est la prise en charge de ses responsabilités par l'élève par le biais d'un système de jetons. Un jeton est une «chance» de s'améliorer. Chaque étudiant·e reçoit deux jetons au début du trimestre. Chacun peut être utilisé pour reprendre et améliorer un artefact en fonction de la rétroaction reçue. Mais le jeton permet aussi de mieux réguler son flux de travail en permettant un délai de remise de 24 h. C'est l'un ou l'autre. Plus qu'une simple seconde chance, ces jetons font partie intégrante du processus d'apprentissage : dans le premier cas, les apprenant·es doivent réfléchir au travail remis et évalué, identifier les aspects à améliorer et planifier leurs modifications. C'est un excellent moyen de développer la métacognition. Dans le second, il permet un second souffle en favorisant la régulation des émotions ou la gestion des multiples travaux à produire dans certaines périodes du trimestre. Deux bons moyens de développer l'autonomie. Comme le note Susan Blum dans Ungrading, une telle possibilité peut « réduire le stress » « encourager à prendre des risques » (Blum, 2020).

L'usage des jetons révèle deux attitudes : plusieurs étudiant·es choisissent stratégiquement de reprendre des artefacts situés tôt dans leur démarche, comprenant que l'amélioration d'un travail initial (stratégies de lecture, carte mentale, plan) influence positivement toute la suite du processus. C'est pour eux une façon de consolider leurs bases, d'avoir un meilleur sentiment de compétence. D'autres apprenant·es préfèrent utiliser les jetons sur l'étude de la dernière œuvre au programme en s'investissant dans les travaux préparatoires.

À l'hiver 2024, j'ai commencé à observer un peu plus la motivation des apprenant·es pour me rendre compte que ma pratique avait un impact notable. J'ai poursuivi dans cette voie les trimestres suivants, de manière à favoriser une motivation plus intrinsèque.

Mon expérimentation au trimestre d'hiver 2024 a produit des résultats encourageants. Je n'avais pas encore de système formel de jetons, mais comme je voulais favoriser la motivation et l'engagement, j'ai beaucoup insisté sur l'implication et la reprise des travaux. Même sans le système de jetons, j’ai observé un impact significatif sur l'engagement des élèves : 34 élèves sur 44 (77%) ont non seulement complété plus de 80% des artefacts du portfolio, mais ont aussi démontré une progression mesurable de leurs compétences au fil du trimestre. Avec le système de jetons formel au trimestre suivant – deux chances offertes à chaque apprenant de réguler son parcours – le sentiment d'autonomie et de contrôle s'est révélé encore plus fort.

Les élèves comprennent que je ne suis pas en classe pour les «mettre à l'épreuve», mais pour les accompagner dans un apprentissage dont ils sont responsables. En fin de trimestre, ce qui est mesuré est la compétence réelle de l'élève au terme de son apprentissage, pas les habiletés qu'il ou elle avait au départ.

Il faut reconnaître que l'erreur n'est pas nécessairement une «faute». «Par définition, un élève ne peut pas échouer en accomplissant une activité pédagogique, puisqu'on lui propose de la faire précisément pour qu'il apprenne ce qu'il ne maîtrise pas» (Viau, p. 156). Cette perspective transforme l'erreur d'une source de honte en une opportunité d'apprentissage. L'évaluation doit devenir un outil de dialogue plutôt qu'un instrument de jugement. «L'évaluation se résume trop souvent à relever les erreurs de l'élève, sans tenir compte des apprentissages qu'il a réalisés» (p. 156). Une évaluation bienveillante permet construire une relation de confiance avec l'apprenant.

Cette pratique alternative rompt délibérément avec la logique sommative de l'évaluation. Plutôt que de simplement accumuler des points – ou les soustraire en cas d'erreur –, les étudiants sont encouragés à s'engager dans un processus d'apprentissage continu. Comme le souligne le Conseil supérieur de l'éducation (2018), il est important de « briser la logique comptable de l'évaluation » pour favoriser un apprentissage authentique, tout en maintenant des standards académiques élevés.

En plaçant l'apprentissage au centre du processus, nous pouvons créer un environnement où les étudiants peuvent prendre des risques, apprendre de leurs erreurs et développer une véritable autonomie intellectuelle. _ ◀︎

Modalités éditoriales

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CC BY-SA 4.0 (Attribution - Partage dans les mêmes conditions)

Publié le 28 octobre 2024 · Révisé le 15 août 2025

Références

Blum, S. D. (Éd.). (2020). Ungrading: Why rating students undermines learning (and what to do instead). West Virginia University Press.

Clark, R., & Talbert, R. (2023). Grading for growth: A guide to alternative grading practices that promote authentic learning and student engagement. Stylus Publishing.

Conseil supérieur de l'éducation. (2018). Évaluer pour que ça compte vraiment : Rapport sur l'état et les besoins de l'éducation 2016-2018. Gouvernement du Québec.

Nilson, L. B. (2014). Specifications grading: Restoring rigor, motivating students, and saving faculty time. Stylus Publishing.

Viau, R. (2009). La motivation à apprendre en milieu scolaire. ERPI.

Voisard, B., Cormier, C., & Arseneault-Hubert, F. (2024). Les pratiques alternatives de notation : Pour mieux soutenir les apprentissages et en témoigner. Pédagogie collégiale37(2), 27. https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/39399/Voisard-et-al-37-2-24.pdf

À explorer

Pour voir l'impact sur la motivation :

  • 15‣ Repenser l'erreur - Comment la PAN transforme la motivation des élèves en favorisant la prise de risque intellectuel selon le modèle de Viau

Pour comprendre les fondements théoriques :

Pour voir l'application concrète :

Pour comprendre la transformation émotionnelle :

Codex Numeris. Explorer. Réfléchir. Transformer.