51‣ Appliquer le modèle de la Réponse à l'intervention (niveau 2)

Comment adapter les interventions préventives au contexte collégial quand on ne peut pas intensifier hors classe ?

51‣ Appliquer le modèle de la Réponse à l'intervention (niveau 2)
Roadsworth, Whale, circa 2001-2005, Montréal, Québec, Canada. Reproduit avec l'autorisation de l'artiste. Source.

Le modèle de la Réponse à l'intervention (RàI) peut être adapté au contexte collégial. Après avoir abordé le niveau 1 dans la chronique 34, il sera question maintenant du second niveau : les interventions préventives. Ici, les stratégies pédagogiques visent à accompagner les élèves qui nécessitent un soutien supplémentaire, de manière à pallier les difficultés avant qu'elles ne deviennent trop grandes.

La contrainte de départ

► NOUS avons vu en février dernier comment un enseignement universel de niveau 1, par la mise en place de pratiques à impact élevé, peut favoriser l'apprentissage de 80% des élèves. Quant à lui, le niveau 2 vise à accompagner environ 10 à 15% des élèves de façon plus étroite encore.

Dans l'idéal, ces interventions de niveau 2 prendraient la forme de rencontres individuelles ou en petits groupes, en dehors des heures de cours. Malheureusement, si cette intensification hors classe est possible au primaire et au secondaire, elle est difficilement réalisable par l'enseignant·e au niveau collégial. Les contraintes de l'horaire régulier, de disponibilité commune et de charge d'enseignement réduisent beaucoup les possibilités. C'est pourquoi ce sont généralement les spécialistes des Services adaptés (SA) qui prennent le relai. Pourtant, en tant qu'expert de ma discipline, je devrais être en mesure d'offrir ce support. Alors comment faire ?

Il me faut donc trouver une façon d'adapter le modèle RàI à ma réalité. Et si, au lieu d'ajouter du temps en dehors des cours, j'aménageais le cours lui-même pour créer un espace d'intervention ciblée ?

Identifier les élèves qui en ont besoin

Avant d'intervenir, encore faut-il savoir qui a besoin de quoi. Le système de monitorage que j'ai développé depuis quelques trimestres me permet d'identifier des patterns d'apprentissage chez mes élèves en croisant deux sources de données : leur performance récente (calculée sur leurs trois dernières productions) et la présence de défis récurrents sur des critères spécifiques (Structure, Rigueur, Plausibilité, Nuance, Français).

L'application identifie automatiquement 4 patterns qui révèlent la trajectoire actuelle de chaque élève :

  • Stable : niveau «maitrisé» sans défi identifié
  • Défi spécifique : niveau «maitrisé», mais avec un critère problématique récurrent
  • Blocage émergent : niveau «En développement» avec au moins un défi identifié
  • Blocage critique : niveau «Incomplet ou insuffisant» avec plusieurs difficultés sur le plan des critères.

Les élèves en «blocage émergent» ou présentant un «défi spécifique» sont ceux qui bénéficieraient le plus d'interventions de niveau 2. Ils ne sont pas encore en situation d'échec, mais leur trajectoire est préoccupante. C'est la zone d'intervention optimale : on intervient avant que la situation ne devienne critique, et on sait précisément sur quoi travailler.

En novembre, mon tableau de bord m'indiquait une dizaine d'élèves dans cette situation. Certains montraient des difficultés récurrentes en Rigueur (analyse insuffisamment élargie), d'autres en Nuance (difficulté à dépasser le niveau descriptif pour atteindre une posture analytique), d'autres encore avaient des problèmes d'assiduité qui commençaient à créer un retard difficile à rattraper sur les notions de base.

Première expérimentation : 3 novembre 2025

J'ai donc décidé de tenter quelque chose que je n'avais jamais fait auparavant. J'ai annoncé à mes élèves qu'ils avaient «congé» pour un bloc de deux heures de cours – mais que j'accueillerais en classe ceux qui avaient besoin d'un soutien supplémentaire pour terminer des travaux ou consolider certaines notions avec moi.

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Onze élèves sur trente se sont présentés. C'était exactement le groupe que j'avais identifié : des élèves présentant des blocages émergents ou critiques, des élèves de niveau 2, ou niveau 3, selon ma classification.

La dynamique était complètement différente d'un cours régulier. Il y a eu beaucoup de ré-enseignement ce cours-là. J'ai donné des exemples, j'ai refait de la modélisation en analysant des passages de textes avec eux, j'ai guidé à nouveau leur pratique.

Les élèves ont travaillé sur un exercice qu'ils avaient commencé, et j'ai pu circuler entre eux pour offrir un accompagnement individualisé. Pour certains, j'ai assuré un suivi itératif : ils écrivaient un paragraphe, je le lisais immédiatement, nous discutions des améliorations, ils réécrivaient. Ce cycle rapide de rétroaction est impossible dans un contexte de classe régulière avec trente élèves actifs.

Certains élèves appliquaient des jetons de reprise pour développer davantage leur argumentation. À ceux-là, j'ai pu expliquer concrètement ce qu'est la nuance en analyse littéraire : comparer les éléments, voir en quoi ils se ressemblent et en quoi ils se distinguent, nommer ces ressemblances et ces différences, en expliquer les causes et les conséquences. Nous avons travaillé à l'identification des procédés littéraires et des mécanismes, à comprendre comment les uns participent aux autres, comment aligner ces trois niveaux hiérarchiques dans un plan cohérent.

La séance a duré deux heures. Les élèves ne sont pas tous restés pendant deux heures, mais certains l'ont fait. L'un d'eux, que j'avais identifié comme étant vraiment à risque en début de session, a travaillé avec persévérance sur les mécanismes et les procédés, il s'est penché davantage sur les hypothèses d'objectifs de communication, a mieux compris la différence entre le descriptif et l'analytique. Pour lui, c'était un moment charnière : maintenant, il y a de la lumière au bout du tunnel.

J'ai trouvé l'expérience vraiment intéressante et très prometteuse. J'ai vu, dès cette première fois, que ça portait fruit.

Deuxième expérimentation : 1er décembre 2025

Fort de ce premier essai, j'ai répété l'exercice un mois plus tard, le 1er décembre. Alors que j'avais identifié une dizaine d'élèves de niveau 2, cette fois, j'en avais moins en classe : cinq se sont présentés. Sur ces cinq, un seul a travaillé pendant les deux heures complètes. Les autres sont restés une heure ou quelques minutes seulement.

L'élève qui est resté deux heures a cependant fait un bon travail. J'ai pu souligner ses petites victoires, l'encourager dans ses efforts. Mais globalement, j'étais déçu de la participation. Si je devais refaire cet exercice, je serais plus directif dans mes invitations. Plutôt que de lancer une invitation générale à toute la classe, je ciblerais des élèves spécifiques et je les inviterais personnellement, en expliquant clairement pourquoi ce serait profitable pour eux.

Malgré cette participation inégale, l'expérience m'a permis de constater l'efficacité de plusieurs stratégies pédagogiques lorsqu'elles sont appliquées dans un contexte d'intervention ciblée.

Le ré-enseignement direct. Certaines notions doivent être réexpliquées différemment, avec d'autres mots, selon d'autres angles. Dans un cours régulier avec trente élèves, je n'ai souvent pas le temps de revenir sur ce qui a déjà été enseigné. Dans ces séances de niveau 2, j'ai pu reprendre des concepts fondamentaux – la différence entre description et analyse, par exemple – et m'assurer que les bases étaient solides avant de demander aux élèves d'aller plus loin.

L'exposition d'exemples concrets. J'ai analysé avec eux des passages de textes, en montrant comment identifier un procédé, comment expliquer le mécanisme qui relie le procédé à l’objectif de communication, et comment formuler une hypothèse. Ces modélisations live sont extrêmement formatrices. Les élèves voient le processus analytique en action.

La pratique guidée intensive et le ciblage précis des difficultés. Parce que je savais exactement sur quel critère chaque élève butait (grâce au système de monitorage), je pouvais adapter mon intervention. Au lieu d'expliquer puis de laisser les élèves travailler seuls, j'ai pu rester à leurs côtés pendant qu'ils pratiquaient. Ils écrivaient quelques phrases, je les lisais immédiatement, nous ajustions ensemble. Cette boucle de rétroaction très rapide permet des apprentissages beaucoup plus efficaces que la correction différée d'un travail remis quelques jours plus tard.

Les défis et les limites

Cette expérimentation m'a aussi confronté à quelques défis. Comment m'assurer que les élèves qui ont le plus besoin d'aide sont effectivement présents ?

Visiblement, en fin de trimestre, lancer une invitation générale à toute la classe ne fonctionne pas vraiment. Certains élèves qui auraient vraiment bénéficié de l'accompagnement ont préféré prendre congé. Pour une prochaine fois, je crois que je serais plus directif. J'inviterais explicitement certains élèves en leur expliquant : «J'ai remarqué que tu as de la difficulté avec tel objectif. Lundi prochain, je vais libérer du temps en classe pour travailler spécifiquement là-dessus. Ta présence serait vraiment importante.» Cette invitation explicite pourrait augmenter la participation des élèves qui en ont le plus besoin.

Lors de la première séance, deux élèves ont travaillé dans leur coin sans m'appeler. J'étais sollicité par les autres et je ne suis pas allé les voir. Rétrospectivement, j'aurais dû au moins prendre quelques minutes pour vérifier avec eux s'ils avaient besoin d'aide. Même s'ils semblaient bien travailler seuls, ils étaient là pour une raison – ils avaient été identifiés comme ayant besoin de soutien.

Enfin, libérer deux heures de cours pour un petit groupe d'élèves, c'est aussi renoncer à deux heures de contenu avec le reste de la classe. Dans un cours où le temps est toujours compté, où il faut couvrir beaucoup de matière et surtout assurer de la pratique, ce choix n'est pas anodin. Il faut que le gain pour les élèves en difficulté justifie cette perte pour les autres. Personnellement, je crois que oui – mieux vaut ralentir un peu et s'assurer que personne n'est laissé derrière. Mais c'est un calcul que chaque enseignant doit faire selon son contexte.

Ce que ça change dans ma pratique

Malgré ces défis, je trouve que l'expérience d'avoir rassemblé les élèves de niveau 2 en un même endroit, au même moment, pour revoir certaines explications, donner des exemples et faire pratiquer, a été vraiment profitable. Le modèle RàI insiste sur l'importance de l'intervention préventive avant que les difficultés ne deviennent insurmontables. Ces deux séances m'ont permis de mettre ce principe en pratique de façon concrète.

Ce que je retiens surtout, c'est qu'il est possible d'adapter le modèle RàI au contexte collégial sans nécessairement ajouter des heures hors classe. En aménageant le cours lui-même, en libérant du temps pour un accompagnement ciblé, on peut créer un espace d'intervention de niveau 2 qui soit réaliste et efficace.

Évidemment, ce n'est pas la solution miracle. Certains élèves auront besoin d'interventions encore plus intensives, de rencontres individuelles, d'un accompagnement soutenu hors classe. C'est là qu'entre en jeu le niveau 3 du modèle RàI, que nous explorerons dans une prochaine chronique. Ces interventions plus intensives, je les pratique depuis quelques trimestres déjà, mais elles soulèvent d'autres questions – notamment celle des limites de ce qu'un enseignant peut raisonnablement offrir et celle de la collaboration avec d'autres services (Centre d'aide, Services adaptés, API).

Pour l'instant, ce niveau 2 – cet espace intermédiaire entre l'enseignement universel et l'intervention intensive – me semble être un bon compromis. Il permet de rejoindre les élèves avant qu'il ne soit trop tard. Et dans un cours comme Écriture et littérature, où les défis sont nombreux et les besoins diversifiés, chaque occasion de prévention compte. _ ◀︎

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CC BY-SA 4.0 (Attribution - Partage dans les mêmes conditions)

Publié le 1er décembre 2025 ·

Références

Bédard, G. (2025, février). Observer pour mieux accompagner. Pédagogie collégiale38(2), 38-45.

Brault, M., Gendron, A., Simard, M., & Bélec, C. (2023). Le premier cours de littérature au collégial : entre soutien à la réussite et création de sens. Dans Regards croisés sur les conditions de réussite éducative des premiers cours de littérature et de philosophie au cégep : Rapport du groupe de travail mis en place dans le cadre de la mesure 3.5 du Plan d'action pour la réussite en enseignement supérieur (PARES) 2021-2026 (p. 31-105). Ministère de l'Enseignement supérieur.

Conseil supérieur de l'éducation. (2018). Évaluer pour que ça compte vraiment : Rapport sur l'état et les besoins de l'éducation 2016-2018. Gouvernement du Québec.

Desrochers, A. (2021). L'approche de la réponse à l'intervention et l'enseignement de la lecture-écriture. Presses de l'Université du Québec.

Fédération des cégeps. (2021). La réussite au cégep : regards rétrospectifs et prospectifs. Rapport du chantier sur la réussite. Fédération des cégeps.

Fédération des cégeps. (2025). Répertoire des pratiques à impact élevé.

Gauthier, C., & Bissonnette, S. (2023). Enseignement explicite et données probantes. Gaëtan Morin.

Hollingsworth, J., & Ybarra, S. (2012). L'enseignement explicite : Une pratique efficace. Chenelière Éducation.

Institut des troubles d'apprentissage. (2025). Leviers d'efficacité - le modèle RAI.

À explorer

Pour comprendre les fondements du modèle RàI :

  • 34‣ Appliquer le modèle de la Réponse à l'intervention (niveau 1) - Cette chronique établit les bases de l'enseignement universel et des pratiques à impact élevé qui constituent le premier palier du modèle RàI. Elle offre le contexte théorique et pratique indispensable pour saisir comment le niveau 2 s'inscrit dans une progression d'intensification des interventions.

Pour découvrir le système de détection précoce :

  • 1‣ Monitorer l'apprentissage - Cette chronique présente le système de monitorage qui permet d'identifier précisément les élèves en blocage émergent ou présentant des défis spécifiques. Elle détaille les trois indices clés (assiduité, complétion, performance) et explique comment les patterns d'apprentissage orientent les interventions de niveau 2.

Pour approfondir les stratégies d'intervention ciblée :

  • 27‣ Pratiquer l'enseignement explicite - Cette chronique détaille les cinq phases de l'enseignement explicite (préparation, modelage, pratique guidée, pratique autonome, objectivation) qui structurent les interventions de niveau 2. Elle montre concrètement comment le ré-enseignement, la modélisation et la pratique guidée intensive transforment la relation pédagogique et favorisent l'apprentissage durable.

Pour saisir l'adaptation systémique au contexte collégial :

  • 9‣ Adapter le modèle RàI au collégial - Cette chronique explore comment le modèle traditionnel 80-15-5 doit être repensé pour les cours-défis comme Écriture et littérature, où une majorité d'élèves nécessitent une intensification. Elle situe les interventions de niveau 2 dans une vision d'ensemble qui reconnaît les défis spécifiques de la transition secondaire-collégial et propose une redéfinition des trois paliers d'intervention.

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